A la poursuite des ravisseurs.

Enguerrand rattrapa Walan alors que celui-ci examinait la piste s'éloignant du chemin. Il avait pris pour la première fois un cheval, délaissant son fidèle poney qui n'aurait pas réussi à soutenir le rythme effréné d'une course. Il s'était certes un peu entraîné à Ryes en compagnie du chevalier Guilhem mais il avait un peu de mal à maîtriser parfaitement l'animal.

La forêt est un véritable labyrinthe, il sera très difficile pour eux d'en sortir rapidement, tellement elle est dense, ils devront ralentir l'allure et encore plus s'ils ne connaissent pas les environs et qu'ils sont nombreux.

Walan avait eu un haussement de sourcil en voyant arriver Enguerrand parmi les renforts mais s'était contenté de répondre à mi-voix d'un ton sombre.

Visiblement leur attaque était préparée ... ils auront reconnu le terrain avant. Du moins je l'espère sérieusement pour eux ...

Les cavaliers avaient continué leur route, arrivant rapidement à l'orée de la forêt. Le Capitaine s'engagea dessous sans hésitation. La température était fraiche et le sol humide sous les arbres, l'été et le beau temps n'ayant pas encore pu faire leur œuvre, mais les traces en devenaient bien plus faciles à suivre malgré la luminosité réduite.

Alors qu'ils progressaient doucement, les sens aux aguets, le seigneur de Meyrieu laissa sa monture ralentir quelques instants pour se placer à la hauteur de Max. Après un rapide coup d'œil vers le jeune vicomte, Walan lança quelques mots au seigneur de Mions.

Lorsque le moment sera venu, ne laisse pas Enguerrand combattre. Il a acquis quelques techniques mais il n'a ni la force, ni l'allonge et encore moins l'endurance pour affronter un adulte un minimum entraîné.

Sans rien ajouter, le soldat talonna sa monture et reprit la tête de la colonne, la main sur le pommeau de son épée. Les traces visibles montraient que leur prédécesseurs avaient avancé au pas et au moins quatre séries d'empreintes étaient distinguables.

Aznar, comment diable avait-il pu faire pour oublier la menace que celui-ci avait fait plané sur Alyanne après leur première confrontation ? Cette fois, le Capitaine se jura que l'hispanique ne s'en sortirai pas ...

Face à face. Le bruit d'un cheval au galop. Deux yeux qui se tournent.

Il n'en fallu pas plus pour Walan. Saisissant l'instant de distraction de l'archer, il se fendit et effectua une légère attaque de taille sur le bas de l'arc et la corde de chanvre ciré. Son coup aurait tout aussi bien pu viser directement un point vital, mais l'intention du Capitaine n'était pas de tuer son adversaire, pas immédiatement en tout cas.

L'effet de ce simple coup fut redoutable. La corde, entamée, ne fut plus capable de résister à la puissance de l'arc et lâcha brutalement ... vers l'archer. Un coup de fouet aurait eu des conséquence moins dévastatrices et l'homme s'effondra, une trainée sanglante s'étendant sur tout son torse et une partie de son visage.

Le seigneur de Meyrieu s'approcha de l'ibère, pointant sa lame sur sa gorge et posant l'une de ses bottes sur la main droite de l'homme au moment où Max arivait à ses côtés. D'un ton glacial, il s'adressa à son agresseur.

Où l'emmenez vous ? Où ?

Choqué par sa blessure, affolé par l'arme le menaçant, l'homme répondit dans un espagnol par ce qui ressemblait à des suppliques. Insensible, le Capitaine avança un peu plus la pointe de son épée, avant de répéter avec un accent très approximatif.

La mujer ? Donde ?!

Le regard de l'homme se porta rapidement vers une direction précise avant qu'il ne reprenne son babil affolé.

D'un geste de la main, Walan montra à Max vers où la poursuite continuerai et s'en alla d'un pas vif chercher Aistulf qui était allé se réfugier à quelque mètres de là ...

Plus profondément dans les terres de Maubec, c'est une Alyanne à demie sonnée que l'on faisait descendre d'un cheval épuisé par la course rapide à laquelle on venait de le soumettre. La jeune femme ne reprit que lentement ses esprits, une fois que ses pieds touchèrent terre. A vrai dire, on ne lui en laissait pas vraiment le temps, un homme, tel un bourreau pour Alyanne, tenait fermement ses poignets pourtant déjà liés. Sans se préoccuper de la démarche peu assurée de la jeune femme, il la poussa devant lui, la forçant à avancer.
Deux hommes se tenaient derrière eux deux qui, malgré leur air assuré jetait quelques regards nerveux derrière eux.

Alyanne commençait peu à peu à se souvenir de ce qui était arrivé: Elle était avec Sancie, jusqu'à ce que trois hommes surgissent de nul part.. Qu'était-il arrivé après?... Elle ne se rappelait que d'une vive douleur derrière le crâne.

Qu'était-il advenu de Sancie? Avait-elle réussit à fuir? Et Walan? Elle n'osait pas l'imaginer seul devant l'autel... Elle fut tirée de ses pensées par une voix. Une voix qu'elle connaissait malheureusement trop bien. Elle releva la tête. Aznar.
Si lors de leur dernière rencontre, elle était restée tétanisée, cette fois-ci, la vision de l'homme ne produit pas le même effet sur Alyanne. De marbre, le regard dur et fier, elle demeura froide comme elle ne l'était jamais. Elle ne prêtait aucune attention aux mots de l'Ibère, la seule chose qu'elle gardait à l'esprit était Walan.

Il suffit d'un geste à Aznar pour que les trois hommes qui retenaient captive Alyanne se retirent, se dirigeant sûrement à nouveau vers leur destrier afin de repartir au plus vite. Demeurèrent alors seul à seul Alyanne et Aznar, la jeune femme ne représentant à coup sûr pas un grand danger. Il sortit du fourreau qui pendait à son côté une épée relativement courte, il apparaissait évident qu'il avait décidé d'en finir avec la jeune femme ici...

Alyanne ne sembla d'abord ne pas bouger, puis, d'un mouvement vif, elle ne laissa pas le temps à son opposant de réagir qu'elle avait déjà à la main une dague, dissimulée sous sa robe.
Malgré l'insouciance qui l'avait gagnée depuis quelques mois, elle n'en n'était pas demeurée aveugle, elle savait qu'il serait revenu mais si elle avait pû deviner qu'il reviendrait le jour de son mariage... Elle était à présent en proie à une colère intérieure sourde, que personne n'aurait été capable de taire. Pas même Walan, elle en était certaine.

De longues secondes, silencieuses, s'écoulèrent. Il était évident que le combat serait perdu d'avance, les forces étant inégales.
Mais cela importait peu à Alyanne, il lui fallait simplement gagner assez de temps pour que Walan s'aperçoive de sa disparition.

Enfin, Aznar brisa le silence.

Elysabeth..

Pourquoi diable l'appelait-il par le prénom de sa mère? Alyanne ne chercha pas à comprendre, la folie meurtrière qui la gagnait peu à peu l'aveuglait. La pensée de Walan avait cédé sa place à celle de la fille de la jeune femme, de son père, de sa famille...

Meurtrier...

Aznar ne réagit à cette phrase que par un sourire. Sourire qui s'effaça sitôt qu'il se rendit compte que la jeune femme fondait sur lui, dague armée. Il l'évita de peu, mais l'arme laissa une vilaine marque sur tout le torse de l'homme. Il releva son épée avant de l'abattre à nouveau. Alyanne se jetta à terre pour l'éviter. Aznar s'approcha d'elle en une fraction de seconde avant d'abattre à nouveau son épée sur elle. La jeune femme roula sur le côté, sentant le souffle de la lame effleurant son visage. Elle voulut se relever, mais malheureusement, elle ne fut pas assez rapide et l'épée d'Aznar marqua toute la hanche droite d'Alyanne, souillant d'une tâche vermeil sa robe blanche autrefois imaculée.

La jeune femme se mordit les lèvres, elle ne laissa pas le temps à Aznar de contrer son assaut. La haine folle qu'il avait provoqué chez elle réveillait une combativité insoupsonnée.
Alyanne fondit une nouvelle fois sur son opposant et Aznar s'empala de lui même sur la dague qu'elle tenait en avant...
Celui-ci resta un moment interdit, incapable d'articuler un mot il balbutia quelque chose avant d'utiliser ses dernières forces pour relever son arme qui se ficha en dessous de la poitrine d'Alyanne...

Il s'écrasa lourdement sur le sol en arrière et celle qui devait se marier ce jour retomba non loin de lui..

Alyanne apparaissait de plus en plus perdue, et seule l'extrême douleur à son côté semblait la forcer à ne pas refermer les yeux. La vie avait quitté Aznar à ses côtés. Elle sentait son propre sang s'écouler lentement sur sa robe et voulant se rassurer elle-même, elle s'efforçait à se convaincre de la superficialité de sa blessure. Il lui semblait avoir entendu un cri lointain, mais elle n'en était pas certaine, et pour tout dire, elle avait bien d'autre préoccupations..

Enfin, elle vit le visage de Walan se pencher au dessus d'elle. Un sourire tendre naquit sur les lèvres de la jeune femme tandis qu'elle levait une main tremblante vers le visage de son fiancé, carressant fébrilement sa joue.
Une nouvelle fois, elle sentit une vive douleur à sa hanche et sous sa poitrine, un regard rapide de la jeune femme suffit pour voir qu'il s'agissait des mains de Walan s'activant desespérément pour éviter ce qui devenait à présent inévitable.
Elle articula avec peine. 

Pour Harmonie... Tu... Tu as vu, n'est ce pas?... Je l'avais juré sur mon honneur, Walan...

Elle grimaça légèrement, parler lui valait des efforts qu'elle jugeait surhumain. Le Seigneur de Mions, ainsi qu'Enguerrand vinrent rejoindre le couple. Mais la jeune femme n'entendait plus rien, tout deux semblaient s'affoler, cherchant herbes et eau. Max évoqua un enfant éventuel, à ces mots, elle eut un regard plein de regrets envers Walan.

J'aurais tant aimé...

Puis, peu à peu, son mal sembla diminuer en intensité, jusqu'à se taire totalement.
Une larme roula le long de la joue d'Alyanne lorsque la lucidité de celle-ci prit le dessus sur l'aveuglement qu'elle s'efforçait à garder en tête, préférant nier une vérité qui se faisait de plus en plus certaine. Elle murmura, avec un sourire qui ne l'avait pas quitté, en un dernier souffle.

Je t'aime...

Doucement, son regard se voila. Son visage demeura dans une expression seraine d'une paix retrouvée...

La Dame de Saint Clément sur Durance s'était éteinte.

Sa belle dame s'en était allée et il semblait à Walan qu'une partie de son âme venait de le quitter en même temps que celle de sa bien aimée.

Un froid glacial s'empara de lui et de son coeur, ses yeux demeurant désespérément secs tandis qu'il continuait de bercer doucement le corps d'Alyanne. Une fois encore, Aristote lui enlevait la femme qu'il aimait peu avant qu'ils scellent leur amour devant Lui, une fois encore par l'épée et la traitrise. Mais cette fois là, la réaction du seigneur de Meyrieu n'eut rien à voir avec le profond désespoir qui l'avait submergé lorsqu'il était jeune garde de Nancy.
Etait-ce les années de plus ? Son pouvoir et ses responsabilités accrus ? Un amour plus puissant pour Alyanne que celui qu'il avait porté à Eléanor ? Qu'importe, le résultat était là : tout sentiment semblait s'éloigner du cœur et de l'esprit du Capitaine, excepté une sourde et froide colère profondément enfouie.

Lorsqu'il se leva, la dépouille de celle qui aurait dû être sa femme, le visage de Walan était inexpressif. Il passa devant ses compagnons sans sembler se rendre compte de leur présence et déposa doucement le corps sur Aistulf. Toujours sans mot dire, il se dirigea vers le cadavre d'Aznar et, sortant son épée, le décapita d'un coup brutal. Enveloppant la tête dans la cape de l'ibère, il réitéra sa macabre opération sur les corps de leurs autres assaillants avant de nouer ensemble les "baluchons" et de les attacher au bout d'une corde pour qu'ils soient trainés par son destrier sur le chemin du retour.

Le seigneur de Meyrieu sembla alors se rappeler la présence de Max et Enguerrand et les regarda brièvement, toujours aussi inexpressif, avant de parler d'une voix rauque.

Il n'y a plus rien ici. Rentrons.