Une visite attendue

Un garde avait prévenu un autre garde qui avait lui-même prévenu un domestique qui lui-même avait prévenu Etienne, l'intendant -à moins que ce ne fût Margaux elle-même.

Toujours est-il que cette dernière vint frapper à la porte du bureau de la Pieuse qu'Aliénor avait donc fait sien, à regret. La nouvelle jeune maîtresse des lieux était penchée sur moult cartes.

La vicomtesse lui signifia sa permission d'entrer.

- Qu'y a-t-il Margaux ? demanda-t-elle en relevant le nez de ses études.

- Une visite, ma demoiselle. Le Seigneur de Pusignan.

Regard froid, comme toujours depuis le trépas de sa mère, mais empreint de détermination.

- A la bonne heure. Mène le dans le petit salon. Je l'y attendrai.

Après un rapide détour par ses appartements afin de réajuster toilette et coiffure, la jeune fille se rendit dans la pièce où elle recevrait son visiteur.

- A la bonne heure, répondit Aliénor. Permettez-moi d'en prendre note.

Elle se dirigea vers les fauteuils et s'assit dans l'un d'eux et le Seigneur de Pusignan fit de même. La jeune fille s'enfonça dans son siège, ferma les yeux quelques instants et prit une inspiration. Lorsque ses paupières se soulevèrent, elles découvrirent un regard déterminé qui se posa sur DeDeLagratte.

- Vous dites avoir beaucoup voyager, Messer. J'imagine que votre profession doit y être pour beaucoup... Permettez-moi d'aller droit au but. Connaissez-vous l'Italie ?

La jeune fille se fit désabusée.

- Nulle surprise à ce que vous n'ayez rien su, Messer. Je crains que l'assassinat de deux anciens gouverneurs laissent de marbre les Dauphinois et nos autorités. L'Hardi Âne a refusé au Vicomte Zwyrowsky l'escorte qu'il demandait pour protéger le retour d'une éventuelle expédition en Italie. Et encore, seulement sur les terres dauphinoises...

Aliénor serra légèrement les poings et serra les dents pour ne pas laisser paraître de trop le mépris qu'elle éprouvait à l'encontre des instances politiques, qu'elle jugeait aussi lâches qu'ingrates.

- Enfin. Pour que vous compreniez bien la nécessité d'une telle expédition, il me faut vous expliquer...

L'histoire était complexe. Très complexe. Intime aussi, car peu de gens connaissaient la véritable histoire de Francesca-Amalya. Par où commencer ?

Pour faire simple, la mère de ma mère, ma grand-mère donc, appartient - ou appartenait, je ne sais trop si elle encore en vie - à une famille florentine extrêmement riche et puissante. Ceux-ci, afin de garder Francesca sous leur coupe, n'ont eu de cesse de faire disparaitre toute trace de l'existence de mon grand-père et de ma mère.

Leur plan a échoué et ma grand-mère, qui croyait sa fille morte depuis trente ans, a retrouvé sa trace. C'est alors que la tante de ma mère, une rousse *mine de dégoût profond* dénommée Maria-Catharina di Bardi a commandité l'enlèvement dont à été victime la Pieuse au printemps dernier...

Le regard d'Aliénor se perdit dans le vague quelques instants puis la jeune fille reprit, froidement.

Vous connaissez sans doute mieux la suite. Carnil s'est élancé sur les traces de ma pauvre mère, suivant sa piste jusqu'en Toscane. Il l'a délivrée de sa geôle florentine mais ce faisant, il a provoqué la fureur de la sorcière rousse. Cette engeance du diable a lancé ses mercenaires à leurs trousses... Ils les ont rattrapés peu avant Briançon.

La voix cristaline de la damoiselle d'Avencourt se tût. Dans son regard, il n'y avait plus qu'une haine froide : son coeur, empli de colère, criait vengeance.

Lorsqu'il entendit Alienor parler, il se renfrogna, il reconnu là ses parents et à ce moment là aucun espoir de la faire changer d'avis ...

Grmlblb, je sais très bien que vous ne changerez pas d'avis vous ressemblez bien trop à vos parents pour le faire.

Et non tuer un roux n'est pas un crime, un vieil ami commun à vostre mère et moi, Kalten de Boissieu, nous aurait surement dit que c'est même un devoir. Conclua-t-il en souriant

Seulement, cela reste risqué, aussi je n'ai pas d'autre choix que de vous accompagner, vous laisser partir seule serait un crime de ma part et je m'en voudrais à jamais si il vous arrivait une chose tragique.

Par contre, je ne suis pas un spécialiste de la politique Italienne, vous connaissez d'autres personnes susceptibles de pouvoir vous aider ?
De plus, il va falloir planifier beaucoup de choses et je ne sais même pas par où commencer ...

Tout en ecoutant la demoiselle d'Avencourt, DeDe esquissa un léger rictus, celle ci semblait avoir déja tout préparé ... savait-elle d'avance que le vieux grincheux qu'il était accepterait forcemment de la suivre ? Quoiqu'il en soit il ecouta attentivement les informations que venait de lui donner Alienor puis tout en reflechissant il commenta ces propos.

Eh bien je dois avouer que vous avez de bonnes oreilles tout en souriant

Je devrais faire trainer les miennes plus souvent, depuis le temps que j'y suis j'ai rien de bien croustilleux ...
POur ce qui est de votre couverture, j'allais justement vous demander si vous possediez quelque chose pouvant nous permettre de nous passer pour marchands ou je ne sais quoi. Je vous fait confiance quant aux Pisans et si la famille Di Bardi est en disgrâce, alors c'est effectivement le moment idéal pour frapper alors n'hésitons pas et fonçons !

conclua-t-il avec un sourire presque sadique, peut-être imaginait-il déjà une tête rousse gisant sur le sol ...

- Voilà qui est dit, acquiesça Aliénor d'une voix de velours.

Elle leva son gobelet d'hypocras en direction du Seigneur de Pusignan.

- Sus à la sorcière rousse !

Elle porta ensuite le breuvage à ses lèvres et en but quelques gorgées, comme pour sceller la prolifique association.

- Connaitriez-vous des gens susceptibles de vouloir se joindre à nous ?

Les propositions du seigneur de Puisignan plongèrent Aliénor dans ses pensées. Elle avait bien fait de lui poser la question : le membre de l'état major dauphinois avait fait de bien judicieuses propositions. Toutes... sauf une.

- Le bourgmestre de Lyon partira sans doute avec ce traitre de Goupil, maugréa-t-elle. Notre "ami" le Vicomte de Crots lance sa propre expédition, en dépit de toutes les règles de politesse et de respect les plus élémentaires. Et j'ai bien peur qu'il n'ait débauché le vassal du feu duc d'Hostun.

Mais soyez assuré que je suivrai vos sages conseils et je m'empresserai d'écrire au Seigneur de Ventavon.