Cette nuit, Freyelda avait du mal à s'endormir : elle était soucieuse mais n'arrivait pas à savoir pourquoi. Une inquiétude sourde dont elle n'arrivait pas à se défaire. Elle s'était levée pour aller voir si Aliénor allait bien : celle-ci dormait profondément, comme un ange, paisible. Tout allait bien. Pourquoi donc n'arrivait-elle pas à trouver le sommeil ? Margaux n'était certes pas rentrée depuis trois jours mais elle leur avait dit de ne pas s'en faire. Bien sûr la baronne se faisait malgré tout un peu de souci pour sa suivante mais elle se demandait surtout ce qui pouvait la retenir. Mais Margaux n'était la source de son tourment. C'était une peur plus diffuse, un sorte de mauvais pressentiment dont elle ne parvenait pas à se débarrasser.
- Qu'est qui vous tracasse mon aimée ?
Alynerion ne dormait pas non plus. Elle le regarda en souriant et secoua la tête doucement.
- Ce n'est rien... ça me passera... Je m'inquiète trop... et pour rien... comme souvent. Cela ira mieux après une bonne nuit de sommeil...
-Encore faut-il que vous parveniez à trouver le sommeil.
Pertinent, comme toujours.
-Certes
Il lui prit la main et l'attira doucement contre lui, lui caressant les cheveux pour apaiser ses craintes puis finit par s'endormir. Mais la jeune femme restait éveillée, dans les bras de son époux, écoutant la respiration et les battements de coeur paisibles de son bien-aimé endormi. Ce n'est que très tard dans la nuit, quelques heures avant le lever du soleil qu'elle fut vaincue par la fatigue.
Sous ses paupières fermées, ses yeux bougeaient : elle était en train de rêver. Elle était près d'une falaise. Dans le soleil couchant, elle apercevait la silhouette d'un homme, à l'extrême bord de la falaise. Elle s'approcha : l'ombre avait maintenant un visage.
- Mel...
Le prélat lui sourit tristement.
- Freyelda, mon amie. Je suis content que tu sois là. Je n'ai pas aimé partir sans te dire au revoir.
- Au revoir ? Mais... que dis-tu là ? Où vas-tu ?
- Rejoindre Aristote.
La soutane de Méléagant était à présent déchirée de toutes parts, laissant apparaître des blessures qui saignaient abondamment. Mais l'homme semblait ne pas s'en soucier. Il avait la tête tournée vers le vide qui s'ouvrait derrière lui.
- Ne les entends-tu pas, Freyelda ? Norv... et Gla... ils m'appellent... dit-il en souriant. Il est temps pour moi. Il se laissa alors tomber en arrière mais il tombait si lentement...
- Ne l'écoute pas dit une voix grave, juste derrière Freyelda. Ce n'est pas ce que j'ai prévu pour lui : il peut encore être sauvé.
La jeune femme se retourna : un homme en toge blanche, au visage incertain se tenait à ses côtés. Il avait un sourire d'une bienveillance absolue. Une douce aura de lumière émanait tout autour de lui. Pas de doute possible sur son identité.
- Aristote...
L'homme acquiesça d'un signe de tête. Il avait les mains croisées dans le dos.
- Va, maintenant... dit il en désignant la falaise dont Méléagant chutait toujours aussi lentement.
Mais à présent, on ne le voyait presque plus : seul un bras tendu dépassait de l'horizon de la falaise. Freyelda s'élança, se jeta à genoux au bord du précipice. Elle tendit la main en direction de son ami, en lui souriant paisiblement. Elle lui dit, calmement mais d'un ton des plus assurés.
-Mel, prends ma main.
-Mais... ils m'appellent... Et je n'ai plus de force.
- Moi aussi je t'appelle. Et je te tends la main : prends-là. Ton temps n'est pas encore venu. Nombreux sont ce qui t'aiment et qui ont encore besoin de toi.
Elle se pencha, plus avant, à la limite de perdre l'équilibre et de chuter elle aussi, car l'archevêque était maintenant presque hors d'atteinte. Elle souriait. Sa voix n'était ni suppliante, ni péremptoire, elle avait seulement l'assurance de ceux qui savent, tandis que Méléagant semblait encore hésiter.
-Prends ma main.
L'ecclésiaste sourit et tendit finalement in extremis sa main vers celle de son amie qui la saisit...
Freyelda se réveilla en sursaut, le souffle court, assise dans son lit. Son esprit était encore troublé par ce rêve qui lui avait parut si réel. Sa main droite était un peu douloureuse ; à y regarder de plus près, on pouvait y voir de longues traces rouges, pareille à celles qu'à celles qu'auraient laissé des doigts qui l'auraient serrée trop fort.
- Mel...