Visite matinale

Charles était devant son bureau, faisant plus semblant de travailler qu'autre chose. Son esprit était ailleurs, voguant en direction du château des Roches où son coeur était resté. C'est alors que Jean-Baptiste entra dans la pièce, et signala sa présence au bout d'un instant en toussant. La Vicomtesse de Maubec lui rendait visite, et attendait en bas.

Le secrétaire d'Etat se leva donc prestement, et rejoignit en toute hâte le petit salon, un peu essoufflé. Son visage s'éclaira à la vue de Freyelda, qu'il gratifia d'un large sourire.

"Bienvenue chez toi ma très chère amie, ta visite me rend des plus heureux, bien qu'elle me surprenne également. Comment te portes-tu ce jour?"

Il avança un peu plus vers elle...

Le maître des lieux ayant l'air surpris de la voir, Freyelda baissa la tête un peu penaude.

Je vais bien merci... Et toi même ?...

Elle lui jeta un regard inquiet.

Mais peut-être que je te dérange ? Je peux repasser plus tard. Ou ne pas repasser... C'est juste que j'avais besoin de...

Elle ne put en dire plus, redoutant bêtement la réponse qu'allait lui faire Charles.

Charles, arrivé à quelques pas d'elle, lui caressa la joue pour qu'elle redresse la tête, et élargit son sourire pour tenter de lui donner confiance en elle. Prenant ensuite ses mains dans les siennes, il lui murmura à l'oreille tandis qu'ils étaient plus proches que de raison...

"Je n'ai eu de cesse de penser à toi depuis hier...si bien que je ne parviens plus à me concentrer sur le reste, et c'est si...si merveilleux...
Je ne pensais pas avoir la chance de te voir icelieu, si vite, d'où une partie de mon étonnement. Je constate également avec surprise que tu peux te déplacer jusqu'à Artas malgré ton état. J'espère cependant que ce n'était pas imprudent..."

Il se pencha vers elle, et fit glisser son nez contre le sien.

Fermant les yeux sous la caresse, la jeune femme retrouva peu à peu le sourire qui avait éclairé, enfin, son visage, la veille. Le regardant avec douceur, elle entrelaça ses doigts dans les siens. Les paroles du duc d'Hostun résonnaient de la manière la plus agréable qui fût. Ses inquiétudes furent balayées et la seule chose dont elle se sentait coupable en cet instant, c'était d'avoir douté.

Profitant de son visage contre le sien, elle eut du mal à résister à l'envie de l'embrasser. Mais elle se contenta de lui déposer un baiser sur la joue.

Je dois me rendre à Lyon, pour les joutes, mon bon ami. Mais je ne gage pas que même sans cela, je serai tout de même venue te voir... J'en mourrais d'envie.

Elle baissa légèrement la tête et détourna le regard.

C'est que vois-tu... Oh tu vas me prendre pour une sotte... J'avais besoin d'être sûre que tu ne te sois pas aperçu que nous avions fait une bêtise... Je voulais m'assurer que tu ne me détestes pas pour t'avoir entraîné sur une voie que tu regrettes à présent...

Elle releva le visage de manière à plonger son regard dans le sien. Elle avait un peu peur, son coeur battait fort.

Me détestes-tu ?

Ses doigts entrelaçaient aux siens...Il se sentait uni à elle. Il avait envie que le temps cesse de s'écouler. Un jour peut-être...Il l'écouta, le sourire aux lèvres, et constata qu'elle était toujours si peu confiante en elle...Pourtant, elle avait tout pour elle, et bien plus encore.

"Si tu donnes le sens complètement inverse au mot détester alors oui, je te déteste de tout mon coeur ma plus que très très chère."

Il conclut en posant ses lèvres sur les siennes.

Les douces lèvres posées sur les siennes la firent frémir autant sinon plus que la veille. Ce baiser, elle l'avait attendu toute la nuit, en avait rêvé, bien plus qu'avant car elle en connaissait maintenant toute la tendresse. S'abandonnant une fois encore au désir de son coeur, elle en oublia toute raison et se perdit dans l'éternité que semblait leur offrir cet instant.

Lorsqu'elle rouvrit les yeux alors qu'ils se détachaient finalement l'un de l'autre, elle lui adressa un doux sourire béat et n'arrivait pas à détacher son regard des beaux yeux bleus de Charles. Puis une pensée lui revint et la sérénité retrouvée de son visage s'effaça un peu.

Se lançant dans une petite pirouette qui aurait pu ressembler à de la danse, elle leva leurs bras et se retourna pour être dos à lui mais toujours tout contre lui.

Il y a quelque chose que je dois t'avouer...

Sa voix tremblait légèrement.

C'était encore mieux que dans son rêve, sans doute était-ce du à l'émotion qui était plus à même de s'exprimer. Son coeur battait la chamade, son esprit avait cessé de vagabonder. Il était incapable de penser à quoi que ce soit.

Il sourit de sa grâcieuse pirouette, et l'entoura de ses bras, tout en venant poser son menton sur l'une de ses épaules. Il l'encouragea en lui déposant un baiser dans le cou lorsqu'elle s'adressa de nouveau à lui.

"Je t'écoute ma Frey, tu peux tout me confier."

Elle soupira tandis que sur ses lèvres se dessinait un sourire de contentement absolu. Elle se sentait littéralement fondre lorsqu'il l'embrassa dans le cou. Elle posa ses mains sur les bras protecteurs de Carnil qui l'entouraient. Elle ferma les yeux et se tut pour profiter de ce moment de répit : il y a avait des mois et des mois qu'elle ne s'était pas sentie autant en sécurité et en confiance qu'elle ne l'était là, dans la douce chaleur de ses bras...

Elle hésita à poursuivre ce qu'elle avait entreprit de dire : elle ne voulait pas gâcher la magie de l'instant. Mais il y avait une chose qui lui pesait sur la conscience, une chose qu'elle pensait devoir lui dire bien qu'elle en redoutait les conséquences. Mettre son âme à nu et lui en montrer toute la laideur.

J'ai fait quelque chose de terrible, tu sais...

Silence inquiet.

Elle inspira profondément pour se donner du courage.

Après notre... -elle s'interrompit quelques secondes pour trouver le mot le plus juste, bien qu'elle doutât qu'il y en eut un- entrevue d'hier... j'ai... j'ai beaucoup prié, tu sais. Je n'ai nullement prié pour qu'il nous donne la force de rester sur le droit chemin. Car je me refuse à penser que nous sommes sur une mauvaise voie. Je me suis bien gardée de prier pour qu'Il te fasse retrouver la raison, égoïste que je suis...

Non... Si j'ai prié...

Elle tenta vainement de retenir ses larmes.

J'ai prié pour qu'Il la rappelle à Lui... Oh mon Dieu...

Elle baissa la tête et leva les mains pour y enfouir son visage.

Je voudrais qu'Il remonte le temps et qu'Il fasse en sorte que tu arrives trop tard pour la sauver... Et je me dégoute pour avoir osé penser de telles choses.

Charles l'écouta avec attention, et fut quelque peu surpris. Il ne s'était pas attendu à cela. La mort de son épouse, il ne pouvait la souhaiter. Mais force fut pour lui d'avouer qu'il serait plus heureux s'il n'était pas enfermé avec elle par les liens du mariage. Il l'avait épousé bien trop tôt, découvrant certaines facettes que son épouse cachait dans l'ombre que bien plus tard, petit à petit. Ce mariage, il le regrettait depuis bien longtemps à présent.

Se concentrant de nouveau sur Freyelda, il lui dégagea le visage qu'il releva, délicatement. Il lui sourit, et essuya ses larmes qui ruisselaient lentement. Le Seigneur d'Artas déposa ensuite un long baiser sur le front de la Vicomtesse, et lui prit les mains. Il s'adressa finalement à elle dans un murmure, avec tendresse.

" Ne te punis pas pour avoir ces pensés ma princesse, car je les comprends. Je ne puis le souhaiter moi même, du moins...pas encore. Mais il est certain que je serai plus heureux si elle n'était plus, plus heureux si j'étais avec toi, sans être enfermé dans ce fichu mariage. Tout serait beaucoup plus facile. "

Approchant ses mains de ses lèvres, il les embrassa.

Caressant le dessus de ses mains avec ses pouces, elle se sentait quasiment désemparée face à l'immense tendresse qu'elle pouvait lire dans le regard de Carnil. Assurément, elle ne méritait pas qu'il se souciât tant d'elle ni qu'il lui portât autant d'affection mais elle gardait bien de s'en plaindre au contraire.

Ni dégoût ni jugement, juste une infinie douceur qui lui rendit un frêle sourire.

Oui... tout serait plus facile...

Elle se hissa comme elle put sur la pointe de ses pieds, manquant de perdre l'équilibre pour aller effleurer le nez de Charles avec le bout du sien. Elle le regarda ensuite quelques instants en silence à la fois grave et sereine.

Mais pour l'instant rien est simple. Ma raison me dit qu'il ne faut plus que je vienne ici, que nous devrions plus nous voir. Sustine et abstinere : c'est ce que Mère Brigitte me répétait sans cesse lorsque j'étais enfant. Supporte et abstiens toi. C'est ce que je vais tenter faire à présent... être raisonnable...

Elle posa son regard vert dans ses yeux bleus.

Je ne sais si tu le seras toi aussi... Elle se mordit la lèvre pour ne pas lui dire à quel point elle souhaitait qu'il ne le fût pas. Je te laisse seul juge et maître de ce qu'il convient de faire.

Je crois que je vais te laisser avant de dire des sottises. Nous serons amenés à nous croiser aujourd'hui pour les joutes. Pardonne-moi si je fuis ton regard à ce moment là mais comme tu le sais, je ne suis pas très douée pour mentir...

Elle lui déposa un long baiser sur la joue tandis que sa petite main déposait une caresse sur l'autre. Puis elle se dirigea vers la porte.

Charles la retint, il ne pouvait se résoudre à la laisser partir ainsi. Sa main serra la sienne, et évitant de l'attirer à lui au vu de son état, s'avança pour se coller tout contre elle. Il la prit alors dans ses bras et avant de l'embrasser avec langueur et passion, lui souffla avec conviction :

" Je ne veux et ne peux être raisonnable mon ange. Et je suis prêt à dissuader quiconque se mettra en travers de notre route..."

Résister était parfaitement inutile, elle en avait la certitude maintenant. La morale était totalement impuissante face à son coeur, son corps et son âme qui ne demandaient qu'à exprimer les sentiments profonds et sincères de la jeune femme.

Face à lui, elle se sentait délicieusement vulnérable et ce baiser passionné la fit complètement fondre. Se laissant un peu aller, elle posa ses mains brûlantes sur les joues de Carnil comme pour le retenir à jamais dans leur étreinte.

Elle avait le souffle court et les joues empourprées ; il lui semblait que son coeur voulait sortir de sa poitrine. Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle lui adressa un regard qui semblait dire "Encore!". Les paroles qu'il lui glissa à l'oreille firent voler en éclat le peu qu'il restait de ses résolutions idiotes.

Dissuade alors, bel ami, dissuade...

Elle lui adressa alors un sourire radieux et serein.

Mes félicitations, beau Duc, vous avez trouvé la clef...

Il lui caressa alors la joue. Il était radieux. Cela faisait bien longtemps qu'il n'avait été si heureux. Et c'est à Frey qu'il le devait. Elle était devenue son rayon de soleil, sa bonne humeur, la princesse sur qui il voulait veiller et protéger. Il se sentait si proche d'elle à présent...C'est peut-être pour cela qu'il s'en approcha d'avantage, se collant tout contre elle, comme s'il voulait sentir son coeur venir battre contre le sien.

Il ne savait quoi répondre dans un premier temps...il n'était pas toujours doué pour exprimer ce qu'il ressentait. Il plongea alors son regard dans le sien, et tenta de lui communiquer sa tendresse, on amour qui venait d'éclore, sans qu'il ne puisse le retenir.

"Je...C'est la plus belle chose que je pouvais recevoir ma tendresse. La mienne est tienne également. fais en ce que bon te semble car je l'abandonne entre tes mains."

Ses lèvres se posèrent alors sur les siennes, ses bras l'entourèrent.

Collés l'un à l'autre, ce qui n'était ni guère confortable ni très pratique dans son état, la douceur du sentiment de bien-être qu'elle ressentait lui fit tout à fait oublier que la position lui faisait un peu mal. Chacun de ses baiser la faisait tressaillir de la plus délicieuse des façons.

Je la garderai, le plus précieusement et le plus secrètement du monde.

Elle le regarda en silence quelques instants, profitant de ces instants magiques où plus rien d'autre ne comptait... que lui. Puis elle soupira en souriant un peu tristement.

Il me faut vraiment te laisser maintenant et tu ferais bien de partir toi aussi, nous allons finir par manquer le début des joutes... Je ne sais pas si je serai capable de faire semblant et de cacher mon trouble, cela me parait impossible...

*nouveau soupir*

Mais il faudra bien... Je te laisse, mon plus que très cher, en me disant que chaque minute qui passe me rapproche un peu plus du moment où je te retrouverai. Et si jamais je ne trouve pas le courage de revenir de me perdre dans ton regard, alors viens me chercher...

Elle déposa un baiser sur le bout de ses doigts qu'elle plaqua ensuite doucement sur les lèvres de Carnil en lui souriant sereinement puis finit, enfin, par trouver la force de s'en retourner et de quitter le château d'Artas, le coeur lourd et léger à la fois.