La Nurserie

Les ouvriers s'affairaient dans la pièce, allant venant, transportant matériel et outils. Le baron, quant à lui, trônait au milieu de ce concert afin de modeler à son image la futur chambre salle de jeu du petit être qui devait arriver dans les jours ou semaines à venir. Il était tout excité de savoir que le fruit de son amour avec son aimée allait voir le jour dans un tel luxe, lui qui avait été privé si longtemps de la richesse, du confort et de l'amour paternel. Sûr qu'il ne referait pas la même erreur que son père, sans toutefois tomber dans le travers de devenir un papa qui noyait son enfant sous les cadeaux, le rang social et le respect il faut les maintenir, c'est une lutte difficile de tous les instants, il faudra qu'il l'apprenne bien assez tôt, tout n'est pas dû dans la vie. Pourtant Alynerion n'arrivait pas à garder son ton moralisateur, tellement il était heureux de ce qui lui arrivait... si bien d'ailleurs, qu'il délaissait la politique depuis une bonne dizaine déjà pour acheter les soies, toilettes, et autres décorations pour la nouvelle pièce voisine de la sienne qui accueillerait ce fabuleux petit être.

Gilles, s'il te plait, approche mon garçon. Je vais devoir m'absenter quelques heures, pourrais-tu surveiller l'installation jusqu'à mon retour. Ce n'est pas que je n'ai pas confiance en ces braves gens mais bon les hommes restent des hommes face à la richesse, vois-tu... Bref Garde l'oeil, je compte sur toi.

Intriguée par tout le bruit qui se faisait entendre dans la chambre à côté de la leur, Freyelda décida de quitter quelques instants ses couvertures, pour assouvir sa curiosité et voir de quoi il retournait.

Profitant d'une rare absence de Margaux, elle se leva doucement mais sûrement, attrapa une couverture dans laquelle elle s'enroula et se rendit discrètement dans la chambre d'à côté.

Lorsqu'il l'aperçut, Gilles se précipita vers elle.

Madame ! Vous ne devriez pas être là ! Si Margaux s'aperçoit que vous êtes là, ou que le baron arrive à l'improviste, je vais passer un sale quart d'heure...

La baronne sourit calmement.

Ne t'inquiète ni de l'un ni de l'autre, j'en ferai mon affaire. Et puis, je te promets, je ne reste pas longtemps : quelques minutes seulement.

Gilles sourit et fit sortir prestement les ouvriers qui avaient tous cessé le travail et baissé la tête lorsque la jeune femme avait pointé le bout de son nez. Ils ne sauraient resté plus longtemps en présence de la baronne, qui n'était ni habillé ni peignée correctement. Aussi étaient-ils vite sorti prendre une petite pause.

Freyelda profita de ce petit moment de tranquillité pour faire le tour de la pièce.

Je te passe les détails médicaux et anatomiques de la chose mais la marche est un exercice recommandé pour les femmes sur le point d'enfanter. lança-t-elle gentiment à Gilles avant que celui-ci eût le temps de formuler une quelconque objection.

La pièce était spacieuse sans être gigantesque, ce qui lui conférait un côté chaleureux et intime comme on l'aimait chez les Maubec. A n'en pas douter que l'enfant s'y sentirait à l'aise. Enroulée dans sa couverture, ses longs cheveux blonds et ondulés tombant en cascade dans son dos, la baronne arpentait la pièce, en laissant vagabonder son esprit, imaginant l'enfant jouant avec son père ou dormant paisiblement dans son berceau.

Cet enfant, son époux et elle l'aimaient déjà tant. Freyelda brûlait d'impatience de découvrir la petite frimousse de ce petit être qui partageait sa vie depuis de longs mois maintenant.

Un petit chevalier en herbe ? Oui, il fallait bien l'avouer, un héritier mâle serait une vraie bénédiction, une sorte de soulagement. Bien qu'ils n'en eussent jamais parlé ensemble, Freyelda se doutait bien que son cher et tendre serait comblé par un fils et elle espérait bien lui faire ce cadeau un jour. Mais une petite princesse serait tout aussi aimée et choyée au château des Roches : la baronne imaginait déjà un Alynerion béat devant sa fille, ce qui l'a fit rire toute seule.

Elle attrapa une couverture d'un jaune tendre qui dépassait d'un coffre. Celle-ci était brodée du léopard de Maubec. En la regardant, Freyelda eut l'impression qu'il manquait quelque chose...

Soudain, l'illumination... Un prénom ! Voilà ce qui manquait à cette broderie, à cette chambre, à ce petit ange tant attendu.

Il faudra que j'en parle au baron, se murmura-t-elle à elle même.

Puis elle fit volte face et se dirigea vers la porte. Elle sourit à Gilles et lui dit, en portant son index sur sa bouche, en signe de silence.

Merci Gilles. Tout ceci reste entre nous, bien sûr... Pas vu, pas pris. Hi hi hi dit-elle en riant de bon coeur. Et maintenant, je vais me remettre au lit avant que Margaux ne se fasse du mauvais sang.

Les travaux étaient complètement terminés depuis déjà plusieurs jours, la pièce était désormais prête à recevoir son futur occupant.
L'accouchement avait été long et pénible, l'enfant avait été fortement éprouvé, il avait besoin de reprendre des forces et de repos. Sa fille dans ses bras, il fit signe à Franceline de le suivre dans la nurserie, un peu plus loin au même étage. Il pensait à son épouse mais il avait confiance, Aristote ne pouvait pas reprendre son aimée maintenant, le baron n'était pas prêt à la laisser partir, pas maintenant qu'elle lui avait donné une descendance, fusse-t-elle femelle.

Voilà Franceline. Cette salle a été faite pour le bébé par mes soins. L'enfant sera près de sa mère tout en ayant un peu de tranquilité puisqu'on entend pas les cris ici. Je te laisse en prendre soin, je regarde ce que tu fais pour pouvoir le reproduire plus tard si besoin est.

Voyant ALynerion se diriger vers une autre porte, à peine plus loin, elle le suivit.
Il ouvrit et ils se retrouvèrent dans un petit paradis, pour enfants.
Elle mit ses mains devant sa bouche pour eteindre le cri de surprise qui venait.
Elle fit le tour de la pièce du regard et se dirigea vers ce qui semblait être l'endroit dédié à la toilette de l'enfant, invitant d'un geste Alynerino à la suivre et à déposer la petite afin de s'en occuper.

Une fois qu'il eut déposé la fillette, elle prit sa place et lui demanda de lui faire parvenir un peu d'eau chaude et où se trouvaient les vêtements prévus pour l'enfant.
Il la regardait, semblant ne pas comprendre ses paroles.

Allons Aly ne reste pas comme ça !
Vous devez bien avoir prévu quelque chose à lui mettre qu'il soit fille ou garçon. On ne va pas le laisser nu ce petit être.

Elle en profitait pour examiner la tête doucement avec ses mains comme cajolant la petite. Tout semblait normal, il n'y avait qu'à surveiller par la suite et les réactions de la petite. Elle fit de même avec tout le petit corps si menu qu'il semblait près à se briser au moindre mouvement. Là encore tout allait bien.
Hé bien nous voilà avec une belle gaillarde messire baron, dit-elle en direction d'Alynerion afin de le faire sourire.

Il avait fait le nécessaire pour qu'elle puisse faire la toilette de l'enfant et la vêtir ce qu'elle fit tout en parlant soit à lenfant soit au père lui expliquant ses gestes et lui donnant maints conseils comme si elle avait déjà eu des enfant elle même.

L'enfant était prète et elle la souleva afin de la mettre à nouveau dans les bras de son père.

Dimanche. Le jour du Seigneur. Freyelda avait décidé de laisser quelques heures durant ses diverses responsabilités publiques de côté pour en assumer d'autres, les plus importantes du monde. Elle voulait profiter de sa fille. Elle avait rejoint Aliénor dans la nurserie qui jouxtait leur chambre. L'enfant était emaillottée comme il se devait mais sa mère la libéra pour l'instant de son carcan textile et lui enfila une petite tunique qu'elle avait elle-même confectionnée et brodée. En tant que physicienne, elle savait que l'enfant devait pouvoir être libre de ses mouvements de temps à autre.

La baronne prit l'enfant dans ses bras et la posa sur l'épais tapis qui se trouvait au centre de la pièce. Puis elle s'assit à son tour, pour jouer avec Aliénor. Les fenêtres étaient grandes ouvertes, l'air chaud de cet après-midi où l'été s'annonçait pénétrait dans la pièce en même temps que le chant des oiseaux.

Aliénor jouait tranquillement avec de grosses figurines en bois. Elle devenait chaque jour un peu plus adroite. Ses cheveux étaient résolument blonds ainsi que ceux de ses parents, plutôt raides, comme ceux de son père.

Freyelda regarda son petit trésor jouer tranquillement et se mit à chantonner cette berceuse qu'Aliénor aimait tant. La filette se mit à rire. Mais brusquement, elle se tût. Son visage enjoué se fondit en une grimace mécontente. Elle fixait des yeux la poupée de chiffon qui se trouvait à l'autre bout du tapis et tendait les bras pour tenter vainement de l'attraper.

Sa mère sourit. Elle regarda la petite et lui dit doucement :

Ma chérie, il n'est jamais trop tôt pour apprendre qu'on est jamais mieux servi que par soi-même... Si tu veux cette poupée, viens donc la chercher, conclua la baronne en faisant signe à Aliénor de s'approcher.

Freyelda était aux anges, pleine de joie et de fièreté. Oh bien sûr, sensible comme elle était, elle ne put s'empêcher de verser une ou deux larmes de joie, à la vue de sa fille qui faisait ses premiers pas mais elle les essuya d'un rapide revers de main avant de tendre les bras vers Aliénor.

La petite affichait elle aussi un grand sourire, visiblement très heureuse de sa découverte. Elle ne se fit pas prier pour aller rejoindre les bras aimants de sa maman, dans lesquels elle s'écrasa plus qu'autre chose d'ailleurs.

Je suis tellement fière de toi, Aliénor, murmura la baronne en serrant son précieux petit trésor contre son coeur. J'en connais un que la nouvelle va enchanter tu sais...

Aujourd'hui dimanche, le Commissaire au Commerce avait décreté qu'il ne ferait aucune transaction commerciale comme à son habitude les jours d'Aristote. C'est donc après un rapide passage à Lyon pour y déposer des rapports qu'il revient en fin de matinée au château des Roches pour profiter de sa petite famille qu'il avait dû un peu délaisser ces derniers temps. Sur le chemin de la nurserie, il signa divers papiers à l'intendant, croisa Gilles qui s'apprêtait à aménager la cour pour y dresser une quitaine afin que le Baron puisse s'exercer à la joute en absence de tournoi, tandis que Marguaux vacait ci et là entre du ménage et la préparation du repas. Sa charmante épouse, quant à elle, était déjà arrivée et tenait très fort leur fille dans ses bras, les yeux remplis d'émotion.

Eh bien mon aimée, que vous arrive-t-il pour vous trouver en pareil état ?

Un mélange de surprise, fierté et d’inquiétude s’empara d’Alynerion. Sa fille l’ayant entendu arriver, s’était détachée de sa mère pour venir le voir mais sur ses deux jambes pour la première fois. La démarche n’était pas très assurée ni même vraiment stable puisque rapidement l’enfant se retrouva fesses à terre après une marche plus proche de la course incontrôlée. Sa réaction suivante amusa le Baron au plus haut point car il la connaissait très bien pour l’avoir vu maintes fois, c’était la même que Freyelda : le sourire qui disparaît, les yeux qui se mouillent et qui fixent le sol, le menton qui tremble. Au moins, elle était bien la fille de sa mère aucun doute là dessus.
Prenant son trésor dans ses bras pour la couvrir de bisous et lui sécher les petites larmes, il était fier de ce qu’avait accompli Aliénor, même si au fond de lui il compris qu’elle avait commencer à grandir et qu’elle n’en était qu’à ses débuts, il n’était pas au bout ses peines. La petite enfin rassurée, retrouva sa joie de vivre, blottie contre le torse paternel.

Cela fait-il longtemps que vous me le cachiez ? N’est-ce pas plus tôt qu’à l’accoutumée ?

Freyelda avait une petite grimace en voyant sa fille tomber. Elle savait bien qu'il n'y avait rien de grave mais cela lui fendait le coeur dès qu'Aliénor se mettait à pleurer. Visiblement, Alynerion était moins dupe et s'amusa de la mine boudeuse de l'enfant. Celle-ci retrouva d'ailleurs instantément le sourire lorsque son père la souleva de terre pour lui faire un câlin : elle enroula ses petites mains autour du cou paternel et posa sa tête sur son épaule, un large sourire aux lèvres.

La baronne s'en trouva soulagée et contempla d'un oeil attendri les deux êtres qu'elle aimait le plus au monde ainsi enlacés.

Ah mais je vous cache rien. Enfin, voyons... Vous avez manqué la première tentative de quelques minutes seulement. Ele fut un peu plus fructeuse car je n'ai pas eu le droit aux larmes. Bref, vous arrivez à point nommé... comme toujours, ajouta-t-elle avec un sourire malicieux.

Il est vrai que notre fille n'est pas en retard mais elle n'est pas si en avance que cela. Elle grandit... voilà tout.